Ah ça ira, ça ira, ça ira ! (1)
On reproche souvent aux wikipédiens d'avoir l'élite en horreur.
Une telle affirmation pose divers problèmes : tout d'abord qui sont les wikipédiens, sociologiquement parlant ? Peut-on les voir comme un bloc homogène lorsque l'on sait que n'importe quel internaute peut à tout instant cliquer sur l'onglet "modifier" d'une page de l'encyclopédie pour compléter ou corriger un article ? Et si l'on veut bien supposer que l'accusation ne concerne que le "noyau dur" des wikipédiens actifs - quelques centaines de personnes -, on doit constater que tous n'ont pas le même "background" ni la même vision d'une encyclopédie. Certains ont une passion à transmettre et s'y consacrent exclusivement : la Chine impériale, les distributions du système Linux, l'épistémologie de la psychanalyse ou la série télé Kaamelott. D'autres, venus pour ce même genre de raison peut-être, finissent par toucher à tous les articles, non parce qu'ils se croient compétents en tout mais parce qu'il n'est pas important d'être un fin connaisseur de la dynastie T'ang pour corriger des fautes d'orthographe ou des tournures de phrases sur les articles qui y sont consacrés. D'ailleurs plusieurs Wikipédiens sont avant tout passionnés par des activités essentiellement techniques de ce genre : l'application des règles de la typographie, l'ordonnancement des catégories, la création d'outils purement informatiques ("(ro)bots", feuilles de style, etc.). Certains sont des curieux de tout, qui aiment travailler sur n'importe quel sujet, afin de se cultiver puisqu'on n'apprend jamais mieux qu'en cherchant à transmettre. Assez différent à mon sens, il y a les "je-sais-tout", qui pensent que leur opinion sur les banlieues, l'élection en cours, l'évolution de l'Islam, l'évolution de l'économie chinoise et bien d'autres sujets (souvent politiques donc) est tellement intéressante qu'il faut qu'ils la transmettent au monde entier. Ces Wikipédiens-là, souvent très impliqués émotivement dans leurs articles, ne font pas long feu sur Wikipédia à moins de changer d'attitude, car ils ont un profil particulièrement pénible dans le cadre d'un projet collaboratif et basé sur la neutralité de point de vue. Ce sont ces gens qui, au terme d'une relation souvent houleuse avec les autres contributeurs finissent par claquer la porte violemment et à crier à la censure : "on" ne leur a pas laissé dire la vérité sur le médef dont le seul but est de mettre la France au chômage, la canaille rouge qui veut supprimer tout esprit d'initiative, les [religion x] qui veulent imposer leur foi au monde par la force, etc., etc. On en voit un bel exemple avec la tristement célèbre Alithia, qui a d'abord tenté de se faire une place sur Wikipédia avant de découvrir avec horreur que ses grandes consiérations sur Finkielkraut (qui est infaillible), Tariq Ramadan (le pire méchant depuis Gengis Khan) et Heideger (qui n'a pas dit que des conneries) n'étaient pas acceptées comme argent comptant et pouvaient même, par faute de sources ou par excès perceptible de partisanerie, être finalement censurées.
Je ne m'étendrai pas sur le cas des contributeurs qui viennent uniquement pour promouvoir un produit (église de scientologie, rose-croix, parti politique quelconque) dont les plus habiles peuvent être assez nuisibles au projet.
Bref, il n'y a pas qu'un wikipédien. Et chacun des "types" que je viens de décrire existe peut-être même en chaque wikipédien, selon les sujets, selon les moments, à divers degrés.
S'il n'existe pas qu'un genre de wikipédien, il existe bien une culture wikipédienne : au fil des travaux, un vocabulaire s'est constitué, des concepts se sont imposés et des pratiques se sont institutionnalisées. Ceux qui contribuent sérieusement ont même sans doute quelques croyances communes, celle en l'intérêt général du projet, souvent (apporter un savoir encyclopédique à des endroits où on n'utilise pas souvent d'encyclopédies, dans les cités de Seine-Saint-Denis, dans le fin fonds du Gers ou au Mali), celle dans la "neutralité de point de vue" et enfin la croyance dans des pratiques de démocratie directe basée non sur le suffrage mais sur la recherche de consensus (c'est une constante dans les prises de décisions sur Wikipédia).
[Suite au prochain numéro]
Une telle affirmation pose divers problèmes : tout d'abord qui sont les wikipédiens, sociologiquement parlant ? Peut-on les voir comme un bloc homogène lorsque l'on sait que n'importe quel internaute peut à tout instant cliquer sur l'onglet "modifier" d'une page de l'encyclopédie pour compléter ou corriger un article ? Et si l'on veut bien supposer que l'accusation ne concerne que le "noyau dur" des wikipédiens actifs - quelques centaines de personnes -, on doit constater que tous n'ont pas le même "background" ni la même vision d'une encyclopédie. Certains ont une passion à transmettre et s'y consacrent exclusivement : la Chine impériale, les distributions du système Linux, l'épistémologie de la psychanalyse ou la série télé Kaamelott. D'autres, venus pour ce même genre de raison peut-être, finissent par toucher à tous les articles, non parce qu'ils se croient compétents en tout mais parce qu'il n'est pas important d'être un fin connaisseur de la dynastie T'ang pour corriger des fautes d'orthographe ou des tournures de phrases sur les articles qui y sont consacrés. D'ailleurs plusieurs Wikipédiens sont avant tout passionnés par des activités essentiellement techniques de ce genre : l'application des règles de la typographie, l'ordonnancement des catégories, la création d'outils purement informatiques ("(ro)bots", feuilles de style, etc.). Certains sont des curieux de tout, qui aiment travailler sur n'importe quel sujet, afin de se cultiver puisqu'on n'apprend jamais mieux qu'en cherchant à transmettre. Assez différent à mon sens, il y a les "je-sais-tout", qui pensent que leur opinion sur les banlieues, l'élection en cours, l'évolution de l'Islam, l'évolution de l'économie chinoise et bien d'autres sujets (souvent politiques donc) est tellement intéressante qu'il faut qu'ils la transmettent au monde entier. Ces Wikipédiens-là, souvent très impliqués émotivement dans leurs articles, ne font pas long feu sur Wikipédia à moins de changer d'attitude, car ils ont un profil particulièrement pénible dans le cadre d'un projet collaboratif et basé sur la neutralité de point de vue. Ce sont ces gens qui, au terme d'une relation souvent houleuse avec les autres contributeurs finissent par claquer la porte violemment et à crier à la censure : "on" ne leur a pas laissé dire la vérité sur le médef dont le seul but est de mettre la France au chômage, la canaille rouge qui veut supprimer tout esprit d'initiative, les [religion x] qui veulent imposer leur foi au monde par la force, etc., etc. On en voit un bel exemple avec la tristement célèbre Alithia, qui a d'abord tenté de se faire une place sur Wikipédia avant de découvrir avec horreur que ses grandes consiérations sur Finkielkraut (qui est infaillible), Tariq Ramadan (le pire méchant depuis Gengis Khan) et Heideger (qui n'a pas dit que des conneries) n'étaient pas acceptées comme argent comptant et pouvaient même, par faute de sources ou par excès perceptible de partisanerie, être finalement censurées.
Je ne m'étendrai pas sur le cas des contributeurs qui viennent uniquement pour promouvoir un produit (église de scientologie, rose-croix, parti politique quelconque) dont les plus habiles peuvent être assez nuisibles au projet.
Bref, il n'y a pas qu'un wikipédien. Et chacun des "types" que je viens de décrire existe peut-être même en chaque wikipédien, selon les sujets, selon les moments, à divers degrés.
S'il n'existe pas qu'un genre de wikipédien, il existe bien une culture wikipédienne : au fil des travaux, un vocabulaire s'est constitué, des concepts se sont imposés et des pratiques se sont institutionnalisées. Ceux qui contribuent sérieusement ont même sans doute quelques croyances communes, celle en l'intérêt général du projet, souvent (apporter un savoir encyclopédique à des endroits où on n'utilise pas souvent d'encyclopédies, dans les cités de Seine-Saint-Denis, dans le fin fonds du Gers ou au Mali), celle dans la "neutralité de point de vue" et enfin la croyance dans des pratiques de démocratie directe basée non sur le suffrage mais sur la recherche de consensus (c'est une constante dans les prises de décisions sur Wikipédia).
[Suite au prochain numéro]