Magie de la télévision

Publié le par Jean-no

Lundi dernier, Mémona Hintermann raconte son aventure avec Khadafi sur Canal+ : le président lybien a tenté de la violer en 1984 et elle s'en est tirée de justesse.
En dehors du fait qu'il s'agit de Khadafi (fait qui justifie que l'histoire soit racontée à la télévision), on sent que la journaliste a quelque chose sur le coeur et qu'elle a besoin de le raconter, qu'elle se rappelle des détails idiots, de la boisson bizarre qu'elle a refusé, de la mise-en-scène foireuse du traquenard, qu'elle revoit comme si c'était hier l'interprète cachée dans les WC en attendant que les choses se passent...
Je suppose qu'il faut prendre un peu sur soi pour raconter une telle affaire. Elle ne l'a pas fait à l'époque du reste, elle n'a commencé à l'évoquer du bout des lèvres que vingt ans plus tard, pendant un talk-show de Marc-Olivier Fogiel.

Ce qui est choquant dans la vidéo dont j'ai reproduit le lien plus haut, c'est cependant moins l'attitude de Khadafi en 1984 (minable) que le spectacle déroutant de la télévision. L'interviewer parle doucement, sourit bêtement et semble toujours prêt à prendre la main de Mémona Hintermann ("je te console"). C'est encore une position relativement digne, mais lorsqu'il prend conscience que l'heure tourne, il n'hésite pas à interrompre le récit.
Une chroniqueuse sur le plateau, Anne-Élisabeth Lemoine, coupe elle aussi la parole à sa confrère pour sortir une phrase d'un ton réjoui, hilare,... Et le public rit, applaudit lorsque Mémona Hintermann qualifie Khadafi de "racaille", on est dans le spectacle, le pur spectacle.
Est-ce que c'est la gène qui pousse les uns et les autres à réagir de manière aussi peu digne ?
Est-ce qu'il y a une volonté organisée de trivialiser un récit apte à modifier quelque peu la vision que l'on peut avoir de la "visite officielle" de Khadafi ?
En rappelant que la France "baisse son pantalon" (l'expression prend tout son sens dans le contexte) et est même la seule nation à l'avoir fait ainsi, pour quelques milliards de contrats, devant un chef d'état qui mérite effectivement d'être qualifié de voyou (on a trop parlé des "états voyous" : il s'agit ici d'un "chef d'état voyou", ce qui est bien différent), Mémona Hintermann met apparemment tout le monde suffisamment mal à l'aise pour qu'on transforme ce qui est visiblement un épisode sordide de sa vie en une anecdote plaisante et sans conséquences.
Et Mémona Hinternann, est-ce qu'elle se rend compte qu'elle a bradé un épisode de sa vie ? Elle fait partie des organisateurs du spectacle elle-même, elle en a sans doute intégré les règles, est-elle capable de voir qu'elle en est à son tour la victime ?

La France de 2007 est un pays de crevards, et je pèse mes mots. On a réussi à farcir les têtes d'inquiétudes paralysantes et à imposer une conclusion simple : arrêter des sans-papiers dans les locaux d'associations, faire les honneurs à un chef d'état minable, parler des droits de l'homme comme d'une formalité ("si vous voyez les chinois, pensez à leur parler des droits de l'homme"), abandonner toute foi en l'humanité et en ses progrès,... Tout est bon, tout est valable lorsqu'il s'agit de sauver trois emplois - ou de se le faire croire -, de signer pour quelques milliards de contrats.

Le meilleur avec ce fascisme nouveau (appelons un chat un chat) c'est qu'on n'a pas à cotiser, à avoir une carte du parti, tout ça nous est filé presque gratuitement par la télé. Nous payons il est vrai une redevance audiovisuelle mais elle est presque symbolique, c'est la publicité qui finance le reste - tout en nous apprenant que nous avions besoin, sans le savoir, de chaussures très chères, de jouets divers, de repas tous préparés anti-diététiques vendus au prix du foie-gras, etc.
Merveilleux modèle économique.

Publié dans Médias

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
" Le meilleur avec ce fascisme nouveau (appelons un chat un chat)" -> euh je ne vois absolument pas le rapport avec le fascisme (ou alors au sens de "Sarkozy c'est mal, comme le fascisme"). J'ai essayé mentalement de remplacer le mot "fascisme" par diverses variantes, pour voir si je trouvais ça plus ou moins convaincant ("Le meilleur avec ce calvinisme nouveau (appelons un chat un chat)" - "Le meilleur avec ce mollettisme  nouveau (appelons un chat un chat)") et ça ne me paraît ni plus ni moins cheveu sur la soupe.Rien pigé au dernier paragraphe, donc.
Répondre
J
Eh bien c'est une vision personnelle des choses : je considère que le monde de la communication audiovisuelle (télé et publicité) est une forme de fascisme, mais je ne l'explique pas bien dans mon billet d'humeur, déjà parce que je suis relativement incapable de le formuler. Enfin essayons...Fascisme est un grand mot, je sais bien, et je ne confonds pas du tout les époques et les situations, mais il me semble que l'ensemble de la population se fait imposer des choses qui en temps normal relèvent non pas de la liberté individuelle mais même de l'individu tout court : à quel moment on a le droit de rigoler, qu'est-ce que l'on a envie de posséder, où on voit la beauté (qui on trouve beau), etc. Et ça me semble grave.  Et puis tout se vend, tout doit être rentabilisé : l'éducation doit servir à trouver du boulot, les services publics doivent être "compétitifs", etc. Une autre caractéristique du fascisme, outre le fait d'envahir les esprits, c'est la vulgarité : posséder est le moyen d'être quelqu'un,...Ce n'est pas organisé par un quelconque complot (there is no cabale), mais c'est ce qui se passe. Il y a des moyens de résister, des mouvements contraires. Wikipédia est un d'eux à mon sens : un projet altruiste qui entend rapporter de la connaissance, on fait difficilement plus "inutile" dans le contexte.Bon, je pense que je ne m'explique pas hyper-bien.